Bienvenue dans les Avisés. Le podcast MMA Entreprise qui décode le monde de l'assurance. Ensemble, nous rencontrons des experts, MMA Entreprise, qui décryptent, analysent et vous éclairent sur les risques d'entreprise. Aujourd'hui, nous rencontrons Laurence Raguideau, Responsable branche Responsabilité Civile chez MMA. Avec elle, nous allons parler du devoir de vigilance des entreprises et plus spécifiquement de la CS3D. C'est parti !
Pour commencer, Laurence, pouvez-vous nous expliquer en quelques phrases la notion de devoir de vigilance ?
Le devoir de vigilance c'est une démarche proactive de prévention et de gestion des risques systémiques qui est imposée aux grandes entreprises depuis la loi de 2017. Cette notion de devoir de vigilance a d'ailleurs été intégrée formellement dans le code de commerce.
Et dans quel contexte s'inscrit le devoir de vigilance ?
Alors cette notion, elle s'inscrit dans un contexte législatif et réglementaire très dense, à la fois sous l'angle climat mais aussi sous l'angle durabilité, on l’a vu au niveau international ou européen avec les accords de Paris ou le Green Deal européen. Mais cela a été aussi décliné au niveau national avec la loi Énergie-Climat, la loi Pacte et en parallèle de ce bagage législatif, en fait cette notion, elle avait déjà été utilisée par les juges aussi bien au niveau de la Cour de cassation que du Conseil constitutionnel. Donc on le voit bien, c'est une notion qui n'est pas neuve qui était déjà utilisée.
Et en matière de contentieux climatique, qu'est-ce qu'il se passe en ce moment ?
Justement, suite à la promulgation de cette loi de 2017, on voit bien que le contentieux climatique augmente en France, mais dans le reste du monde aussi. Alors évidemment, les États-Unis concentrent une majorité de ces contentieux, mais on voit qu'au niveau de l'Union européenne par exemple, il y a 62 actions qui ont été entreprises.
On parle beaucoup des actions de type climatique, est-ce que vous auriez des exemples à nous donner ?
On peut en citer 2 qui sont assez particuliers, un qui était dirigé contre l'État, donc il était assez symbolique justement pour cette situation. C'est ce qu'on appelle l'affaire du siècle. Il y avait 4 associations d'intérêt général qui ont assigné l'État français en justice devant le Tribunal pour inaction justement face au changement climatique. Alors cette affaire elle était symbolique parce que la justice a reconnu la responsabilité et le préjudice écologique causé par l'inaction climatique de la France. Alors dans cette affaire, l'État n'a pas pu financer, y a une réparation symbolique qui a été attribuée aux associations. Mais malgré tout, cette affaire-là demeure très emblématique. Le 2ème cas intéressant, c'est un cas contre une entreprise, donc contre TotalEnergies, donc là c'est pareil. 6 ONG ont intenté une action contre TotalEnergies pour violation du devoir de vigilance. Cette affaire n'a pas abouti sur le fond, ils ont débouté les plaignants sur un problème de forme de vice de procédure. En tous les cas, c'était frustrant d’un point de vue juridique pour nous tous, mais d'autres procès vont venir.
Et quel est l'impact législatif de cette inflation de procès ?
C'est comme un cercle infini. On l'a vu, le bagage législatif s'est mis en place, les procès ont augmenté. Mais en parallèle, il y a d'autres normes et d'autres recommandations qui arrivent au niveau européen. Et là au niveau européen, il y a justement 2 textes fondamentaux qui ont trouvé aboutissement, donc ce sont les directives CSRD et CS3D qui sont 2 textes gémellaires, et en fait, ces 2 directives visent à renforcer la responsabilité des entreprises en matière de durabilité et à promouvoir des pratiques commerciales plus transparentes et plus responsables.
En quoi consiste concrètement ces 2 directives ?
Alors la CSRD, elle impose aux entreprises de publier et de certifier des informations en matière de durabilité, ainsi que de respecter des obligations environnementales, sociales et de gouvernance d'entreprise. Désormais, par exemple, les conseils d'administration ont l'obligation de publier des rapports extra-financiers et sont désormais responsables des informations qui sont publiées dans ces reportings de durabilité. La directive CS3D quant à elle, impose aux entreprises un devoir de vigilance en matière de durabilité. Ça signifie que les entreprises doivent désormais prendre des mesures pour identifier, prévenir, atténuer et rendre compte des impacts négatifs potentiels de leurs activités sur les droits de l'Homme et l'environnement.
Mais quel est l'intérêt de la CS3D ?
Alors il est fondamental parce que les 3 principaux éléments que cette directive grave dans le marbre sont le devoir de vigilance, donc les entreprises doivent mettre en place des procédures pour surveiller et gérer les risques liés à la durabilité. Ensuite, de ça, la directive, pose le principe de la transparence, les entreprises doivent être transparentes quant à leurs pratiques et leurs impacts sur la durabilité, et enfin et surtout, elle pose le principe de responsabilité et les entreprises sont désormais tenues responsables des impacts négatifs de leurs activités sur les droits de l'Homme et l'environnement.
À quel type d'entreprise s'applique la CS3D ?
Aujourd'hui, la CS3D se limite aux très grandes entreprises, c'est-à-dire celles qui ont plus de 1000 salariés ou qui génèrent un chiffre d'affaires de plus de 450 millions d'euros.
Concrètement, quels sont les changements suite à cette directive ?
Alors on le voit bien, toutes les briques se mettent en place au fur et à mesure, et d'ailleurs très récemment 2024, début 2024, au sein du pôle économique de la Cour d'appel de Paris, a été créée, une chambre dédiée aux contentieux émergents et cette chambre, la chambre 5-12, sera en charge des contentieux transversaux mettant en jeu des questions environnementales.
Quelles conséquences la CS3D a-t-elle pour les assureurs ?
Nous n'en sommes qu'au début, mais en effet, de nombreuses questions, commencent à se poser. Tout d'abord, nous aussi assureur, devons répondre à ces obligations et à ces nouvelles directives puisque nous faisons partie des grandes entreprises. Ensuite, si on regarde plus précisément sous l'angle responsabilité civile, les contrats de responsabilité civile, qu'il s'agisse de RC générale ou de RC environnementale, mais également les contrats de responsabilité civile des mandataires sociaux seront en première ligne de ces contentieux et ces contrats de responsabilité civile doivent être vus différemment aujourd'hui. En effet, l'objectif d'un contrat de responsabilité civile par le passé, c'était de répondre à un aspect curatif. Aujourd'hui, on le voit bien, on va être sur une dimension préventive, donc cet équilibre doit être repensé et je pense qu'on doit envisager les mécanismes certainement différemment. L'autre point important à mon sens, c'est que le secteur de l'assurance doit réfléchir à comment on accompagne nos clients en matière de servicing et de prévention à mettre au service de nos assurés, d'autant plus qu'on aura accès avec ces nouvelles obligations, aux informations, aux outils de cartographie et aux plans de vigilance des entreprises. Donc il y a un vrai cercle vertueux à instituer.
Justement, pour terminer, quel est votre conseil avisé d'expert s’agissant de la CS3D ?
Je dirais que assureur et assuré doivent se saisir de cette opportunité pour travailler à plus de prévention. C'est un vrai cercle vertueux qui nous est offert aujourd'hui, donc saisissons-le, saisissons-le pour réfléchir à l'assurance responsabilité civile de demain. Nous devons parler, nous devons échanger, nous devons partager et nous devons construire ensemble.
Merci beaucoup Laurence pour votre éclairage à très bientôt dans Les Avisés. Le podcast MMA Entreprise qui décode le monde de l’assurance.